Un
titre provocateur pour un objectif défini
Ce
livre, je l’ai intitulé Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais.
Enquête. Un titre provocateur, qui répond à mon intention première, lorsque
je me suis mis à l’écriture de cet ouvrage : pousser un cri d’alarme, sensibiliser
le public aux menaces qui pèsent sur notre langue.
Trois
points de vue
J’ai
adopté 3 points de vue pour décrire l’état de notre langue (la
pénétration de l’anglais dans le français) et sa situation (son
utilisation comme moyen de communication) : 1) l’omniprésence de l’anglais
dans l’environnement visuel et auditif des villes en France (Partie I : La
partie visible de l’iceberg), 2) la concurrence de l’anglais dans le corpus
(lexique et grammaire) du français (Partie II), 3) la concurrence de l’anglais
dans le statut du français (son utilisation) (Partie III).
La
concurrence sur le terrain et sur la
Toile (Partie I : la partie visible de l’iceberg)
En
France, 1) l’anglais est partout dans l’environnement visuel et auditif ; 2)
les Français y ont systématiquement recours pour nommer leurs sociétés, leurs
commerces, leurs produits, leurs services, leurs événements (grandes
entreprises, p. 7-35, et petits commerces, p. 37-43) ; dans la tête des
gens, l’anglais est la langue de superstrat; 3) même l’État, les
administrations, les collectivités locales, les établissements d’enseignement
sont touchés (p. 45-56) ; 3) Il ne semble pas y avoir de volonté
d’abandonner cette pratique.
Descente
dans les profondeurs du phénomène
(Parties II et
III)
La
partie visible de l’iceberg n’est que le symptôme de quelque chose de plus
grave. Si l’on descend dans les profondeurs, on découvre deux phénomènes plus
inquiétants. L’anglais exerce une double pression sur le français : une
pression non seulement sur le corpus de la langue, sur son état (l’invasion des
anglicismes), mais aussi sur son statut, sur sa situation (sa perte d’influence
dans le monde, mais aussi dans les sociétés francophones).
La
concurrence de l’anglais dans le corpus du français (Partie II)
Cette
pression sur le corpus se manifeste non seulement par l’importation de très
nombreux mots anglais, (emprunts de mots, p. 59-85), mais aussi de très
nombreux sens anglais (emprunts de sens, p 87-106). En général, on est
très sensibilisé aux importations de mots anglais, qu’on essaie de combattre en
créant des équivalents français, mais on l’est moins aux importations de sens
anglais, plus difficilement détectables, les premiers ayant un « faciès »
anglo-saxons, qui les « trahit » aisément, ce qui n’est pas le cas
des mots « bien français ». Pourtant il s’agit du même phénomène
de pression et de pénétration de l’anglais.
De
plus, si l’on est sensibilisés aux interférences de l’anglais dans le domaine
du lexique, on l’est moins dans celui de la grammaire (emprunts morphologiques,
p. 106-128, et syntaxiques, p. 129-151). Pourtant ces interférences sont
nombreuses et témoignent aussi de la pression exercée par l’anglais même sur la
partie la plus stable de la langue.
Dans
le chapitre consacré à la concurrence à l’œuvre dans le corpus du français
(p. 153-176), je montre à quel point le tableau est contrasté entre des mots français,
qui ont cédé la place à des mots anglais, et des mots français, qui ont
supplanté des mots anglais. Il y a là un espoir, à condition de savoir former
de bons néologismes.
Cette
pénétration de l’anglais dans le système de la langue, son lexique et sa
grammaire, a de quoi nous inquiéter. Cela nous agace, nous irrite, voire nous
insécurise. On y voit une menace pour l’existence même de notre langue. Mais ce
n’est pas le plus grave. Après tout, l’anglais, langue germanique, n’a conservé
que 25% de mots germaniques et emprunté 28% de mots latins et 28% de mots
français. Cela ne l’a pas empêché de connaître la fortune que l’on sait à
l’époque moderne et contemporaine. A l’heure actuelle, le français général doit
avoir importé (seulement) entre 10% et 12% de mots anglais.
Mais,
de même que l’anglais est une langue hybride germano-romane, de même le
français est engagé dans un processus d’hybridation romano-germanique.
C’est pourquoi j’ai créé cette notion de New French pour désigner cette néo-langue
naissante. En 1964, Étiemble avait popularisé le terme franglais.
Soixante ans plus tard, l’anglicisation de notre langue a fait des progrès
considérables, d’où ce choix, un peu provocateur, et dans l’air du temps, de New
French.
Mais
ce qu’il faut retenir, c’est que le développement d’une langue ne dépend pas
de sa plus ou moins grande « pureté », mais des plus ou moins grandes
possibilités de communication qu’elle offre, peu importe le matériau dont
elle est faite. Or, dans ce domaine, on observe une érosion inquiétante des services
offerts par notre langue.
La
concurrence de l’anglais dans le domaine du statut du français (Partie III)
Nous
vivons dans une sorte de quiétude, renforcée par les renseignements fournis par
certaines organisations, dont l’Organisation internationale de le Francophonie
(OIF). J’ai procédé à une analyse critique de ses chiffres, qui donnent une
représentation fausse de la réalité.
Combien
sommes-nous de francophones dans le monde ?
Nous
serions 321 millions, selon l’OIF. J’ai étudié (p. 179-192) ses sources, ses définitions
et ses méthodes de calcul pour montrer qu’elles ne sont pas crédibles.
Si l’on comptabilise les francophones de l’hémisphère nord (France, Belgique,
Suisse, Canada francophone), les seuls où le français est nécessaire dans la
vie de tous les jours, les seuls qu’on peut comptabiliser sans trop
d’incertitude, on obtient au maximum 84 millions de personnes. Il resterait à
donc trouver 321 – 84 = 237 millions de francophones dans les autres parties du
monde. Où ? En Afrique ?
L’Afrique
francophone parle-t-elle français ?
L’avenir
du français ne se joue pas en France, à Paris, ou au Canada, à Montréal. Il se
joue en Afrique. Or, la description de la situation du français en Afrique
faite par l’OIF est également trompeuse. En réalité, le français n’y est la
langue usuelle que d’une très faible minorité. Il est menacé par la montée en
puissance des langues nationales et de l’anglais, et par la multiplication des
actions anti-françaises (putschs, etc.) (p. 190-192). La Francophonie africaine
pourrait s’effondrer comme un château de cartes.
Les
territoires perdus de la langue française (1) (p. 193-204)
Le
français dans les institutions internationales
Malgré
son statut enviable de langue officielle dans nombre d’institutions
internationales mondiales (ONU) ou européennes (UE), en réalité le français a
très peu d’influence comparé à celle de l’anglais. À l’ONU, à New York, 84,86%
des textes sont en anglais, 2,44% en français. De nombreux pays membres de l’OIF
interviennent aux AG dans d’autres langues officielles que le français. Au Secrétariat
général du conseil (SGC) européen, 92,46 % des textes sont rédigés en anglais, 2,07%
en français. Au Parlement européen, 72,2% des textes sont rédigés en anglais, 11,9%
en français. Certes, le français est bien la deuxième langue après l’anglais,
mais loin, très loin derrière...
Les
territoires perdus de la langue française (2) (p. 204-220).
Internet : Selon l’OIF, le français serait
la quatrième langue sur Internet. Vérification faite le score du français y est
moins glorieux (p. 205-206).
Le
français, langue d’enseignement
(p. 206-212) : En Europe et dans le monde, l’enseignement du français,
langue seconde est en déclin, concurrencé par celui de l’anglais bien sûr, mais
aussi de l’allemand et de l’espagnol.
Langue
des publications scientifiques
(p. 213-216) : au XIXe siècle, le français faisait partie, avec
l’anglais et l’allemand, des trois grandes langues de la science. De nos jours,
la part du français dans les publications scientifiques s’est effondrée. Alors
que celle des publications en anglais dépasse les 90%, celle du français ne
dépasse pas le 1%, sauf en sciences sociales et humaines où elle atteint 7%.
Le
choc des législations
française et européenne
(p. 221-234)
Dans
le domaine des langues, deux facteurs interviennent : l’économie, qui
favorise ou défavorise le développement d’une langue, et le droit, qui
permet de contrer peu ou prou la puissance de l’économie.
Malheureusement,
le droit en Europe joue contre le français (et toutes les autres langues, à
part l’anglais). La philosophie libérale aux fondements de la construction
européenne (libre circulation des biens et des personnes) interdit toute
politique de protectionnisme linguistique. Le choc entre les philosophies et
les législations est illustré par la loi Toubon (1994) d’un côté, le chapitre
II du traité de Rome (1957) et des directives européennes subséquentes, d’un
autre. La loi Toubon a été vidée d’une partie importante de son contenu. Par
ailleurs, son application n’est pas vraiment surveillée. Ce qui explique, entre
autres, les phénomènes de la partie visible de l’iceberg décrits dans la
première partie du livre.
À
titre d’exemple, je fais une étude comparée des informations fournies sur un
tube dentifrice Colgate en France et au Québec (p. 230-231). Conclusion :
les Québécois sont mieux servis que les Français dans ce cas-là.
Conclusions
(p. 234-256)
Dans
la conclusion, je reviens sur deux grandes lois dans le domaine des
langues :
Loi
du moindre effort ou Loi générale d’économie d’énergie : « La loi du moindre effort
postule que les individus sont attirés par les options qui nécessitent le moins
d'effort, qu'il soit mental, physique ou émotionnel. » Cette loi explique
en partie le recours à des anglicismes.
Loi
de l’utilité des langue : « Plus
une langue permet de communiquer avec plus de locuteurs dans plus de situations
de communication plus cette langue est utile et plus elle a de chances de se
développer. » (LM). Cette loi explique la perte de compétitivité du
français.
Je
propose une quinzaine de mesures à prendre pour, sinon arrêter le processus
d’anglicisation, du moins le freiner (p. 254-256). Ces propositions concernent
surtout la France, l’Europe et l’Afrique. Le Québec pourra apporter son
expertise et participer aux efforts de recherche. Mon plan s’articule autour
des notions suivantes : sensibiliser, étudier, coopérer, légiférer, aménager.
Sensibiliser par l’organisation d’États généraux de la langue ; étudier
par le lancement de programmes d’études sociolinguistiques sur la concurrence
de l’anglais dans les domaines du corpus et du statut du français ; coopérer
en établissant une véritable défense de toutes les langues nationales en Europe ;
légiférer en adoptant des lois nationales et des directives européennes
définissant la place des langues en Europe ; aménager le paysage
linguistique national et européen, aboutissement de toutes ces étapes.
Mots-clés :
Lionel Meney, auteur, présentation, Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais.
Enquête, concurrence anglais-français, visage franglais des rues en France, corpus
de la langue, anglicismes, statut de la langue, perte d’influence, territoires
perdus de la langue française, choc des législations linguistiques françaises
et européennes.